aux quatre coins de la planète

"Ce à quoi aspirait mon imagination et que mes sens ne percevaient qu’incomplètement et sans plaisir dans le présent, je l’avais enfermé dans le refuge des noms; sans doute parce que j’y avais accumulé du rêve, ils alimentaient maintenant mes désirs…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swansea 1913.

Fidji est un parfum qui vivote parce qu’il se vend tout seul aux quelques fidèles qui lui reste et qui doivent affronter la grimace d’incompréhension bovine des vendeuses de moins de 30 ans lorsqu’elles vont se ravitailler à la parfumerie. Les gens de plus de 40 ans, eux, se souviennent que ce parfum de Guy Laroche fut un incroyable succès, un classique, durant deux décennies. Il est souvent cité comme «le premier parfum marketing» ce qui pour certains veut dire «le début de la fin» mais peut aussi être perçu comme une preuve que le marketing peut faire de bonnes et belles choses.

Fidji est d’abord un nom, un slogan publicitaire et un concept, celui de l’exotisme. Pour mémoire, il faut peut-être rappeler que le Parfum de Thérèse d’Edmond Roudnitska était l’un des compétiteurs et qu’il n’a pas été retenu. Certains y verront la preuve d’une aberration, très honnêtement, le jus de Joséphine Catapano qui a  retenu sert mieux le propos et  plus en adéquation avec l’époque. Au vu du succès remporté, personne chez l’Oréal n’a eu des remords…

NB: S’il survit aujourd’hui, c’est sous une forme bien diluée, délavée, quasiment morte. J’ai mis la main sur une version des années ‘70, c’est de la version vintage que je vais parler.

Fidji est directement dérivé de l’Air du Temps de Nina Ricci, qui était un  succès à l’époque. Il en reprend surtout le cœur floral, son  bouquet rosé dominé par l’oeillet. (Les deux parfums étant de merveilleux oeillets, mais certainement pas des soliflores!) le départ est vert et floral, mêlant le galbanum et la jacinthe, plus vif, plus frais, plus jeune en fait, que la laque aldéhydée classique. Les aldéhydes sont, cependant, encore là, mais discrètement, Fidji est un parfum qui reste très bien coiffé malgré tout.  Le bouquet floral est dont très œillet mais pas que, et on y sent l’exotisme de l’ylang ylang qui lui donne une discrète mais indéniable sensation de plage et crème solaire (les fameux salycilates déjà présents dans l’Air du Temps), le tout s’appuyant sur un fond classique, un peu chypré, mais surtout boisé sur ma peau où le santal joue les crèmes onctueuses. Le parfum est sans lourdeur, sans cet effet gras qui date les anciens, mais demeure costaud et imposant. L’eau de toilette vintage que j’ai déniché vaut largement mieux en termes de diffusion que beaucoup d’eaux de parfum actuelles. (Dont l’eau de parfum actuelle de Fidji, plus verte mais surtout lissée et aplatie.)

La sensation que me procure Fidji est assez comparable à celles des romans les plus exotiques d’Agatha Christie ou les héros, très britanniques, jouent au bridge et prennent le thé à,17 heures sous le soleil des Caraïbes. C’est une conception du voyage qu’on a un peu de mal à comprendre aujourd'hui. L’exotisme pour un parfum, de nos jour, c’est sentir les fleurs comme là-bas. Voyager en Fidji, c’est balader l’élégance parisienne aux quatre coins de la planète. Fidji est peut-être colonialiste alors que Songes de Goutal est dans l’appropriation culturelle? L’exotisme, c’est cette richesse florale, cette exubérance qui se met au service du parfum. C’est beau, ce n’est pas vraiment romantique, Fiji est plutôt sage et  avec un petit quelque chose d’extravagant quand même dans les imprimés floraux géants qui ornent la robe, bien coupée, ourlet au genou.

Ce serait dommage de ne voir en Fidji qu’un parfum de transition, une resucée de l’Air du Temps matinée de N°19 de Chanel. On oublie qu’il a  influent parce que son succès est derrière lui et qu’on connaît mieux tout ceux qu’il a inspirés, mais ce fut un parfum important et lorsqu’on lui donne sa chance, il est encore beau. Son charme fait encore mouche sur moi et ce n’est pas que nostalgie, il y a là-dedans tout ce que j’aime: équilibre, complexité, richesse. Ce n’est pas le plus poétique dès parfum, mais il n’est pas une parfum  négliger pour autant. Beaucoup de parfums actuels ne lui arrivent pas à la cheville et je me dis que le marketing, c’était mieux avant!




Fidji, Joséphine Catapano pour Guy Laroche, 1966.

Commentaires

  1. Mon cher Dau,

    vous m'avez mis l'eau à la bouche, j'envisage déjà de le commander en ligne.

    Grosses, grosses bises

    Sara

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    1. Bonjour Sara,

      J'ai quelques scrupules à pousser au crime, maus Fidji mérite de sortir de l'ombre où une. mauvaise gestion l'a très malheureusement plongé. Son rayonnement solaire, élégant et classique vous siérait à merveille, j'en suis sûr …

      Faites des folies et revenez me dire…

      À bientôt

      DAU

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  2. Une jolie description très poétique de ce parfum et qui donne l'envie de le découvrir , malheureusement trouver où sentir une version vintage doit relever de l'impossible !

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    1. Je pense très sincèrement qu'il faudrait créer des clubs d'amateurs et de curieux se réunissant pour communier dans leur passions des jolis jus ancien. Il y a bien des clubs de lectures et des clubs de bridge, pourquoi pas?

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  3. il me rappelle ma grand mère.... Tout comme sa poudre de riz à l'odeur si particulière.
    Coquette, mais sage, avec un brin d'extravagance les dimanche à l'heure de l'apéritif avec sa Suze....

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    1. Sage avec un brin d'extravagance, c'est tout à fait Fidji!

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